Entretien : la discorde de Moises Saman – Thibaut Godet, Réponses Photo

Entretien : la discorde de Moises Saman

Par Thibaut Godet Le 02 mars 2016 à 14h49 mis à jour 08 août 2016 à 12h23

Photographe de l’agence Magnum, Moises Saman publie Discordia, un ouvrage à la tonalité autobiographique, qui retrace son travail de photo-reporter lors de trois révolutions liées au Printemps Arabe, en Égypte, en Libye et en Syrie. 

Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Égypte… Moises Saman a parcouru ces quinze dernières années de nombreux pays du Moyen-Orient et d’Asie Centrale où il fut témoin des régimes autoritaires mais aussi des guerres et des révoltes qui embrasent la région. Hispano-péruvien né en 1974, il n’était pas forcément prédestiné à couvrir l’actualité de cette partie du globe. Membre de l’agence Magnum depuis 2011 (adoubé en 2014) et arrivé deuxième au prix du WorldPress 2014 en catégorie Informations Générales, Moises Saman a su faire de son approche sincère de l’actualité sa marque de fabrique. Parfois proche de son sujet, parfois distant, il offre dans son livre Discordia non pas un mais des points de vue uniques sur les événements qui ont bouleversé trois pays touchés par le Printemps Arabe. Il a su tout autant capturer des moments au plus près des manifestants, qu’auprès des partisans des régimes en place. Ni reportage, ni documentaire, Discordia révèle la manière dont Moises Saman a vécu l’histoire de ces soulèvements.
Le livre qu’il publie est donc le récit de ce que ce photographe a vu en 5 ans au Moyen-Orient. Imprimé en grand format sur un papier mat valorisant extrêmement bien ses images, Discordia présente des centaines de photographies parlantes et touchantes des révoltes des 3 pays arabes. Au travers de cet ouvrage, Moises Saman s’affirme non pas comme un photographe de guerre, mais comme un photographe de révolution.
Rencontré à l’agence Magnum Photo entre deux cours qu’il donnait à une école de photographie, Moises Saman nous explique son travail et son livre :

Comment êtes-vous arrivé dans le milieu de la photographie?

C’est arrivé assez tard dans ma vie. A l’université j’étudiais la sociologie, je n’étais pas encore intéressé par cet univers. La photographie est devenue une de mes passions lors de ma dernière année de fac. De l’étude de la société à la photographie, c’est finalement une progression naturelle. La prospective dans cette matière m’a amené à faire des images qui étaient aussi pour moi une manière de m’engager dans le monde et de m’exprimer. J’ai également commencé à travailler pour un journal.

Quand avez-vous commencé la photographie de presse?

Après l’université, j’ai commencé par être stagiaire dans un journal à San Diego en Californie où j’ai pu débuter ce métier. Par la suite, j’ai obtenu un poste à New York, c’est en arrivant là-bas que j’ai vraiment réalisé que je voulais être photo-journaliste.

Vous êtes né au Pérou, vous avez étudié aux Etats-Unis et vous vivez en Espagne. Qu’est-ce qui vous a amené au Moyen-Orient?

Le 11 septembre 2001, je travaillais pour un journal à New-York, c’est à ce moment là que les choses ont commencé à changer pour moi. J’ai beaucoup voyagé au Proche-Orient, en Afghanistan puis en 2003, lors de la guerre, en Irak. Finalement, on est le produit de son temps. Lorsque l’on est photographe, on couvre sa génération. Le Moyen-Orient, c’est l’actualité qui m’y a amené. J’y ai progressivement passé du temps et me suis connecté avec des personnes sur place, cette région est devenue bien plus qu’un lieu de travail.

Vous travaillez en Egypte, en Syrie et en Libye. Avez-vous vu arriver la révolution?

Quand je suis arrivé, la révolution venait de commencer. J’ai été témoin de son démarrage et de sa propagation à toute la région.

Égypte, Syrie et Libye, qu’est-ce qui rassemble ces révolutions?

Discordia retrace surtout la manière dont j’ai eu à travailler. Je bougeais très vite entre les pays et travaillais pour différents journaux et magazines. Ces révolutions étaient connectées d’une certaine manière, mais je ne le savais pas à l’époque, je réagissais seulement à l’actualité. Le classement de ces photos dans mon livre a surtout été réalisé de manière à rassembler ces trois révolutions dans un seul récit. Il n’y a à l’intérieur qu’une seule histoire, celle que j’ai vue au travers de mon expérience.

Cet ouvrage pose des questions sans forcément donner des réponses, ce sont celles que je me suis posées après être resté tout ce temps au Moyen-Orient. Je me suis interrogé sur la signification de ce que je vivais là-bas et j’ai voulu ouvrir ce dialogue avec les lecteurs.

La photographie qui illustre la couverture de votre livre et l’affiche de votre exposition est une image montrant un partisan de Kadhafi dans un stade arborant un portrait de l’ancien président. Qu’est-ce que vous voulez montrer par cette image?

Vous savez, dans un régime autoritaire, le leader est en images à tous les endroits, c’est quelque chose de très commun. Sur cette image particulière je voulais capturer la personnalité froide de Kadhafi et surtout me focaliser sur le théâtre de ces événements qui étaient organisés pour les médias et montrer que tout le monde aimait le chef. C’était un mensonge, un événement de propagande.

Lors de l’exposition à la galerie agnès b à Paris, 4 photos de la propagande étaient présentées, est-ce une forme de dénonciation?

Non, ce n’est pas nécessairement une dénonciation, simplement l’étalage des faits. Je veux être clair, mon livre n’est ni politique, ni connoté, il ne vise pas à promouvoir une version de l’histoire ou à donner une leçon à quiconque. Il est basé sur des événements réels et est le fruit de mon travail de photo-journaliste. La narration de Discordia est plus personnelle. C’est un documentaire basé sur mon point de vue, il explique la manière dont j’ai vécu l’histoire. Il ne s’agit pas d’une analyse journalistique.

Comment vous organisez-vous lorsque vous arrivez dans cette région?

J’ai la plupart du temps des fixeurs, des amis autour de moi. En Egypte je travaillais plus librement, mais j’ai toujours eu besoin de monde pour m’aider, déjà pour la langue car je ne parle pas arabe. Pour la sécurité, je m’adapte en fonction de la situation. J’essaye d’être au plus proche des gens pour vraiment comprendre et ressentir leur énergie. Il faut être là, on ne peut être trop éloigné. Parfois ça peut poser des problèmes de sécurité.

Est-ce que vous partez sur commande de journaux et de magazines?

Oui bien sûr, je n’aurais jamais pu faire tout ce travail sans leur soutien. Le New York Times, le New Yorker, Time Magazine, j’ai eu de nombreuses missions qui m’étaient proposées par ces médias.

Vous êtes devenu un membre à part entière de l’agence Magnum en 2014, qu’est-ce que cela signifie? Un succès? Une reconnaissance de votre travail?

Je considère déjà cela comme un privilège, je travaille avec des personnes que je respecte énormément, des photographes dont j’apprécie le travail et l’approche. Il y a aussi une certaine pression en ce qui concerne l’engagement requis. Les gens pensent que vos photos sont plus significatives parce que vous êtes à Magnum, du coup il faut redoubler d’efforts, être plus plus dur avec soi-même et toujours chercher à s’améliorer. Cependant, je ne pense pas mon travail comme ayant plus de sens que celui des autres photographes. Le privilège, c’est bien de travailler avec des gens qui sont proches, qui vivent en communauté. Il y a des personnes merveilleuses qui travaillent pour nous, qui sont là pour nous aider, on a l’impression de faire partie de quelque chose.

Est-ce que certains des photographes de Magnum vous inspirent?

Oui bien sûr, c’est ce que je sous-entends quand je parle de privilège d’être dans cette agence. Je n’en ai pas un précisément, cela dépend vraiment de l’atmosphère et de l’humeur. J’aime beaucoup de genres de la photographie et différents types d’approches, je m’inspire aussi de la musique, de la peinture, de l’écriture…

Quel matériel utilisez-vous?

En ce moment je travaille avec un Sony 7 R II, je n’aime pas les gros appareils trop voyants, mais je m’inquiète aussi de la qualité des images. Ce n’est pas pour me cacher que j’ai ce boîtier,  je pense que les meilleures photos sont celles où s’installe un dialogue entre le photographe et son sujet, mais ce n’est pas la seule approche, parfois il faut avoir plus de distance.

https://www.reponsesphoto.fr/article/entretien-la-discorde-de-moises-saman-12647

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